J'ai du mal à imaginer l'émotion que ressentirait Henri Béraldi, bibliophile passionné, co-fondateur en 1913 de l'association des amis de la Bibliothèque Nationale, s'il m'avait vu, plus d'un siècle plus tard, télécharger son "Voyage" sur Gallica depuis mon canapé, et le lire sur ma liseuse KoboTouch. Ce n'est pas une chance de vivre à notre époque par certains côtés (en particulier économiques), mais cela en est une immense, quand on sait que nous avons la possibilité de connaître la plus grande révolution depuis l'imprimerie : les débuts de l'ère numérique.
Rien n'a changé, pourtant, depuis Henri Béraldi, la BnF se pose les mêmes questions : comment collecter, conserver à long terme et préserver les livres (et autres documents de la connaissance humaine) ; comment valoriser du mieux possible ses fonds et les rendre accessibles au public de manière efficace ? Les seuls paramètres qui changent (et le changement est de taille aujourd'hui) tiennent au format de ce qui doit être collecté (problème très difficile à résoudre), la manière de constituer le catalogue et les bibliographies (à ce niveau-là il me semble que ce doit être plus facile qu'autrefois, avec l'informatique), et l'élargissement considérable de l'accès aux fonds avec la possibilité de les numériser (une avancée extraordinaire, là est à mon avis la plus grande révolution : sans Gallica je n'aurais jamais lu "Voyage d'un livre à travers la Bibliothèque Nationale" et j'en suis donc une preuve vivante).
Rien n'a changé, donc, depuis le départ (les bibliothèques royales et la mise en place du dépôt légal par François 1er sont à l'origine de la BnF), à commencer par l'essentiel, résumé parfaitement par Henri Béraldi : "La Bibliothèque, très brave, très résolue, fixant le péril en face et ne regardant pas à la peine, se déclare prête à faire tout son devoir. Elle n'est pas juge, dit-elle, de la qualité de ce qu'elle emmagasine". Voilà pourquoi la BnF continue de tout collecter, et numérise ses fonds en masse (quel intérêt véritable y aurait-il en cela si elle ne numérisait que les classiques, par exemple ?).
Voilà ce qui selon moi fait sa noblesse depuis ses origines : apporter du sens pour l'Humanité tout entière, en conservant toute la connaissance, de toutes les générations.
"Fixant le péril en face", nous dit Henri Béraldi. De quoi parle-t-il ? De cet "océan" de livres qu'est la Bibliothèque, "océan sans évaporation qui, au contraire du tonneau des Danaïdes, ne laisse jamais rien perdre, et reçoit, reçoit constamment, de sorte que son niveau monte, monte chaque jour !" Telle est bien en effet la grande question que l'on se pose, question presque métaphysique au bout du compte : jusqu'où peut-on aller ? Et l'on se prend à imaginer qu'un jour il existe un territoire grand comme un pays qui s'appelerait la BnF ; "Bibliothèque de Babel" qui se perdrait dans l'infini borgésien.
Les livres un jour seront-ils TOUS écrits, sans qu'on ne puisse plus rien produire d'original ? Bien sûr que non, il y aura toujours des livres, puisque, comme nous le dit Mallarmé : "Tout, au monde, existe pour aboutir à un livre" ; voilà pourquoi, plus les individus auront la possibilité d'écrire, plus ils écriront ; voilà pourquoi on dit qu'aujourd'hui il y a plus d'écrivains que de lecteurs (encore davantage à mon avis qu'à l'époque de Béraldi qui a connu pourtant la Bibliothèque "à la limite qui sépare l'ancien régime de la production modérée, du nouveau régime de la production centuplée et intensive".
Reste, pour la question de l'espace, la solution de l'ebook, mais qui fait je suppose se poser des questions quant à sa conservation à très long terme, et à la possibilité de les lire ad vitam eternam.
Il faut lire "Voyage d'un livre à travers la Bibliothèque Nationale", ouvrage qui, en nous expliquant le fonctionnement de l'institution à l'époque, nous éclaire aussi sur son fonctionnement d'aujourd'hui ; mais surtout, explications avec le regard d'un passionné, d'un fou de bibliothèque, d'un homme pour qui ce devait être une sorte de Paradis (mal en point, mais Paradis quand même) !
C'est également un plaidoyer, pour rendre hommage au personnel de la Bibliothèque Nationale, pour tirer la sonnette d'alarme quant au manque de place, pour donner plus de moyens financiers à la Bibliothèque. Problèmes qui sont les mêmes de nos jours, quoique dans une moindre mesure.
Lire le livre pour le style, enfin, et un certain sens de la formule : "il faut, hélas ! y joindre les désordres graves causés par ce gros microbe qui s'appelle l'homme, brutal, sans soin, et pas toujours très propre" (à propos de la préservation des imprimés) ; "De ces rayons, il y en a, à la Bibliothèque, quelque chose comme cinquante kilomètres, aujourd'hui entièrement garnis. On pourrait donc, avec les imprimés de la Bibliothèque, serrés debout les uns contre les autres, faire plus que le tour de Paris : une vraie ligne de grande ceinture !" ; "On se noiera dans la masse des petits renseignements de détail (...) le tout pour arriver à publier que Napoléon, à son déjeuner, mangeait, non pas un oeuf, mais deux oeufs !" (je vous laisse lire l'ouvrage pour comprendre le contexte de cette phrase très people).
Un livre comme il devrait en exister un aussi pour les bibliothécaires actuels de la BnF, à la fois dignes d'éloge pour ce qu'ils nous apportent, et pour raconter le privilège de faire partie de ceux qui construisent la BnF de l'ère numérique. Livre que je serais bien incapable bien sûr d'écrire moi-même, pour une première raison majeure : je suis comme Béraldi, à mon niveau, un explorateur enthousiaste de la BnF mais... sans jamais avoir eu la chance de la visiter, ni même de la voir !
La révolution numérique aurait beaucoup plu à Béraldi je crois, rien que pour les possibilités qu'elle permet en terme de valorisation des contenus de la BnF.
Je vous donne en lien la biographie de Béraldi sur Wikipedia, vous en saurez plus sur cet homme très intéressant, inventeur du "pyrénéisme", grand randonneur, et bibliophile invétéré. Je donne aussi le lien vers l'association des amis de la BnF.
Article sous CC-0
To the extent possible under law, Jérôme Nodenot has waived all copyright and related or neighboring rights to Le gallicanaute des naines. This work is published from: France.
Voyage d'un livre à travers la Bibliothèque nationale : propos de bibliophile / par Henri Béraldi
Beraldi, Henri (1849-1931) - Voyage d'un livre à travers la Bibliothèque nationale : propos de bibliophile / par Henri Béraldi - 1893 - monographies
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