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Le gallicanaute des naines brunes et noires

Le gallicanaute des naines brunes et noires

(Carnet de bord d'un gallicanaute bibliophile)


Jacques le bûcheron (1873) - Ernest Depré.

Publié par Jérôme Nodenot sur 21 Janvier 2025, 15:40pm

Catégories : #Naines brunes

Voilà bien un ouvrage qui s'inscrit encore une fois dans cette littérature que j'ai souvent appelée "de terrain". Les grands écrivains sont sublimes, les lire procure un plaisir esthétique qui dépasse beaucoup la simple réalité pour nous amener vers les beautés infinies de la poésie. Lorsque Zola, par exemple, nous décrit un alambic dans "L'assommoir", celui-ci devient un monstre terrible qui promet bien des déboires aux personnages du roman ; c'est incroyablement bien écrit, mais j'ai déjà vu personnellement la sorte d'alambic dont il parle et je dois dire que c'est loin d'être aussi spectaculaire ; ce n'est pas la réalité, c'est de la poésie et de la grande littérature. Nous pouvons considérer que par certains côtés Zola décrit fidèlement la vie des ouvriers de son époque mais pour ce qui est de leur réelle vie psychique je pense que l'on est bien au-delà de la vérité pour s'envoler plutôt vers la stratosphère d'un grand écrivain promis à la postérité.

Avec Ernest Depré rien de tel, bien qu'il fut à son époque un dramaturge et librettiste reconnu. "Jacques le bûcheron", je l'ai déjà dit, c'est de la littérature de terrain, de la littérature "témoignage". Ici nous ne sommes pas dans le sublime intemporel, nous sommes transportés en 1873 (et uniquement en 1873), pour entrer dans la tête d'un être humain qui, comme des milliers voire des millions de ses concitoyens vient de sortir de la guerre de 1870 et de l'occupation allemande, humilié et revanchard après avoir subi la déroute française et la perte de l'Alsace et de la Lorraine. "Jacques le bûcheron", c'est l'histoire d'un fantasme. En 1873 Ernest Depré n'a que 19 ans, et l'on imagine assez bien son état mental à ce moment précis.

Le poème prend place à l'écart d'un petit village entre Sedan (ville tristement symbolique de cette guerre de 1870) et Paris. Les Allemands sont en marche, forts de leur grande supériorité sur les Français. Tous les habitants du village de Jacques ont fui avant l'arrivée des ennemis mais lui est obligé de rester dans sa chaumière, au chevet de sa femme qui est en train de mourir de maladie. Il attend donc les Allemands, en espérant de leur part de la clémence au vu des circonstances. 

Les voilà qui arrivent (page 8) :      

Jacques le bûcheron (1873) - Ernest Depré.

Dix d'entre eux entrent directement dans la chaumière de Jacques (pages 9-10) :

Jacques le bûcheron (1873) - Ernest Depré.
Jacques le bûcheron (1873) - Ernest Depré.

Jacques montre à ce chef son épouse qui manifestement est proche d'une mort imminente. Mais l'Allemand, évidemment cruel, idiot, ou incrédule, s'approche de la femme et il... (page 11) :

Jacques le bûcheron (1873) - Ernest Depré.

Ce moment terrible met Jacques hors de lui, sur-le-champ il se jette sur l'officier mais est rapidement immobilisé par plusieurs soldats qui le ligotent et lui mettent le canon d'un fusil sur la tempe. Va-t-il finir fusillé ? Non, l'officier décide d'être généreux et de lui rendre sa liberté : il se contentera de cramer la maison de Jacques avec tout ce qu'il y a dedans. Jacques est libéré mais... (page 13) :

Jacques le bûcheron (1873) - Ernest Depré.

Jacques ne s'éloigne pas, il se cache derrière un tas de pierres à quelques mètres de la chaumière, attendant que les Allemands arrivent. Très vite l'officier allume le feu et les soldats sortent tranquillement de la maison, lui en tête. Jacques se prépare à agir, tenant fermement sa cognée (sorte de hache qu'utilisent les bûcherons) et lance son attaque (pages 14-15) :

Jacques le bûcheron (1873) - Ernest Depré.
Jacques le bûcheron (1873) - Ernest Depré.

Un, puis deux, puis trois, puis quatre Allemands décèdent le crâne fracassé, avant qu'un cinquième parvienne enfin à le transpercer (par derrière évidemment). Jacques meurt, mais il meurt vengé.

Le dernier vers est le suivant : "Et cela s'est passé dans la dernière guerre", suggérant l'idée qu'il s'agit là d'une histoire vraie. Je n'ai rien trouvé sur cet acte héroïque dans la presse de l'époque mais laissons le bénéfice du doute à Ernest Depré et imaginons que Jacques ait vraiment existé et que ce poème soit plus que le fantasme revanchard d'un jeune homme plein de haine envers les Allemands. Haine qui contribuera largement à l'avènement de la Première Guerre Mondiale, comme l'esprit revanchard des Allemands contribuera largement à son tour à l'avènement de la Deuxième. Haine atavique aujourd'hui dissipée, comme quoi c'est possible... et nourrissons l'espoir que ce genre de dépassement soit possible aussi un jour dans d'autres régions du monde.

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