Aurais-je avec cet ouvrage oublié la règle de base absolue de ma démarche (uniquement des livres oubliés ou méconnus) ? Non, n'exagérons pas, même si ce "Voyage dans la lune" est considéré aujourd'hui par certains spécialistes comme un précurseur de la littérature de science-fiction et qu'il a été réédité en 2014 chez Actes Sud Junior (la seule réédition depuis 1892). Pour ma part, je ne parlerais pas à son sujet de science-fiction mais plutôt de fantastique et d'onirisme. Je l'ai trouvé en tout cas très poétique, plus annonciateur de Wells que suiveur de Jules Verne.
L'auteur, Arthur de Ville d'Avray, n'a écrit que ce livre. Si j'en crois la notice du catalogue général de la BnF, il était un ancien élève de Saint-Cyr et fut "géologue, naturaliste, archéologue, collectionneur, artiste peintre et illustrateur" !
Autant dire un personnage aussi excentrique que le livre qu'il a écrit et illustré, loin a priori de la prestigieuse école militaire dont il est sorti.
Aller sur la Lune a toujours été un rêve caressé par les Humains, déjà Cyrano de Bergerac au XVIIe avait fantasmé sur la question (et il y a du Cyrano chez Ville d'Avray). Au XIXe, Jules Verne bien sûr (de façon plus rigoureuse dans les années 1860) ou bien encore notamment le Hans Pfaal d'Edgar Poe en 1835, sans oublier Tintin quelques années avant que l'homme puisse réellement s'y rendre. Et tant d'autres.
Mais qu'est-ce qui a bien pu se passer dans la tête de Ville d'Avray pour qu'il ait l'idée d'écrire un tel ouvrage ?
Laissons-le répondre lui-même dans cette courte préface très attachante :
Et voilà comment ce petit livre merveilleux est arrivé jusqu'à nous plus de 130 ans après sa parution, et que grâce au numérique et à Gallica nous pouvons lire depuis chez soi et gratuitement.
En voici quelques extraits, même si je vous en conseille plutôt la lecture intégrale, c'est court et agréable.
Comme Hans Pfaal, le héros Baboulifiche décide d'aller sur la Lune en ballon (page 13) :
Il amènera avec lui (contre son gré avouons-le) son domestique Papavoine. Le voyage en montgolfière se passe bien, mais hélas le ballon éclate juste avant l'alunissage et les deux compères manquent de se faire embrocher (page 8) :
Baboulifiche ne verra que ses vêtements déchirés, et Papavoine tombe dans une crevasse mais son maître parviendra à l'en sortir. Commence alors, comme dans une succession de tableaux, des rencontres plus hallucinantes, colorées et angoissantes les unes que les autres.
Ici, croyant trouver de grosses moules à manger, ils découvrent à l'intérieur des monstres (page 16) :
De gigantesques araignées volantes manqueront de les dévorer, ils découvrent d'autres animaux monstrueux ainsi que certains habitants de la Lune pétrifiés (par une mer pétrifiante pense Baboulifiche), puis des Lunaires dont l'armée fait très peur à nos deux héros (page 29) :
Mais ils ne font que passer heureusement.
Ensuite (je vous passe les détails), montant sur des chauves-souris lunaires géantes ils quittent la Lune, espérant pouvoir rentrer sur Terre car cet endroit inhospitalier où ils meurent de faim les désespèrent ; hélas, la rencontre d'une comète sera fatale aux chauves-souris (brûlées par sa queue) et nos deux compères tombent... sur Saturne !
Là, ils rencontrent de gentils papillons à face humaine qui les aideront lors d'attaques de fourmis notamment. Baboulifiche et Papavoine s'épuisent à essayer de voler comme eux (page 39) :
Mais où qu'ils aillent les dangers sont trop nombreux et ils ne pouvaient que mal finir. Je vous invite à lire le livre pour en connaître toutes les péripéties.
Le dernier épisode de l'aventure est horrible (page 48)...
C'est au moment où le lecteur se dit à part lui "mais c'est quoi cette horreur, ça finit comme ça ?" que l'on voit Baboulifiche gesticulant de partout... et tombant de sa chaise : il s'était tout simplement assoupi dans sa chambre en lisant le journal. Le lecteur se dit alors "j'aurais dû m'en douter", et l'on comprend que finalement ce cauchemar a été habilement dépeint par Ville d'Avray, avec cette succession de tableaux où l'on passait parfois un peu trop rapidement à autre chose (comme dans les rêves), et cette capacité à susciter l'angoisse à travers toutes ces figures monstrueuses.
Voyage dans la lune avant 1900 / par A. de Ville d'Avray
Voyage dans la lune avant 1900 / par A. de Ville d'Avray -- 1892 -- livre
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6566575c/f23.texteImage