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Le gallicanaute des naines brunes et noires

Le gallicanaute des naines brunes et noires

(Cabinet de curiosités littéraires)


Aventures de Cyrano de Bergerac (1918) - Jules Lermina.

Publié par Jérôme Nodenot sur 11 Décembre 2017, 17:43pm

Catégories : #Naines noires

Comme beaucoup de quadragénaires, j'attends déjà avec impatience la troisième saison de "Stranger things" sur Netflix. Netflix qui aura bien réussi son coup ici, en ciblant un public d'abonnés qui étaient enfants dans les années 1980, comme les héros de cette série qui a le don de recréer tout à fait l'ambiance de cette période, entre, comme on le sait, Steven Spielberg et Stephen King. Ne nous le cachons pas, tout bon divertissement a ce petit quelque chose qui fait mouche, ce petit "supplément d'âme" qui réjouit les coeurs, en un mot : une bonne dose de talent, mais aussi une recette.

Des oeuvres de divertissement il y en a plein dans Gallica ; toute une littérature populaire en grande partie oubliée aujourd'hui mais qui pourtant parvient encore aussi à nous "réjouir le coeur", pour peu que l'on ait l'idée de s'y intéresser. Je vous conseille pour en avoir un aperçu et prendre un peu vos marques à ce sujet la rubrique "Romanciers populaires du XIXème siècle" de Roger Musnik sur le blog Gallica : http://gallica.bnf.fr/blog/recherche?query=111.         

Quel intérêt, dira-t-on, à s'intéresser à de vieux divertissements, quand on nous en propose tant aujourd'hui à travers la télévision, internet, ou même la littérature ? Je n'aurai pour ma part qu'une seule réponse : redoubler de bonheur, puisqu'on ajoute le plaisir de la réhabilitation à celui de l'évasion ; en un mot, on joint l'utile à l'agréable, et ça c'est une satisfaction rare et qui donne un sentiment d'accomplissement.       

Jules Lermina fait partie de cette catégorie d'auteurs ; il en est même une sorte de forme absolue, en ce sens où, au moins pour une partie de son oeuvre, il cherchait délibérément à surfer sur les grosses vagues produites par les best-seller de son temps. Il a écrit des suites aux livres d'Eugène Sue, au "Comte de Monte Cristo", par exemple. Et, un an après la première de l'explosive pièce de théâtre d'Edmond Rostand "Cyrano de Bergerac", voila t-y pas que notre surfer professionnel publiait "Amours et aventures de Cyrano de Bergerac" (en 1898, donc, la version présentée ici est une réédition posthume de 1918 dans la "Grande Collection Nationale"). Pour en savoir davantage sur cet écrivain engagé et assez prolifique, il faut lire l'excellent article de Musnik sur le blog Gallica ici : http://gallica.bnf.fr/blog/14012014/jules-lermina-1839-1915.

Pour créer un bon divertissement, la recette ne suffit pas, encore faut-il avoir le talent pour que le liant entre les ingrédients soit savoureux et fasse suffisamment oublier les ficelles, les "trucs" qui, trop visibles, rendraient l'ensemble lourd et immangeable. Jules Lermina, à ce niveau-là était un maître, et il est parvenu à m'attraper et à ne plus me lâcher tout au long de cet ouvrage de 48 pages (double colonnes), et à me faire replonger dans cette ambiance des romans de cape et d'épée de mon enfance (qui plus est gasconne), comme "Les trois mousquetaires", "Le bossu", ou encore "Le capitaine Fracasse".

Et pourtant, quand on résume rapidement l'histoire, des ficelles, il y en a dans ce livre, et elles sont vraiment très grosses. L'histoire se déroule sous Louis XIII et Richelieu (normal, c'est vraiment l'époque où vivait Cyrano de Bergerac). On peut même imaginer qu'on est en 1638, puisque la reine vient d'accoucher de deux jumeaux (c'est un problème pour le futur trône, que Richelieu veut résoudre en envoyant le deuxième bébé se faire élever discrètement par la tante d'une des femmes qui entourent la reine). Mais le père Joseph, éminence grise de Richelieu et fin manipulateur dans le dos de ce dernier, est beaucoup plus radical et envoie des assassins pour intercepter le bébé et le tuer. Hélas pour eux ils croisent sur leur chemin Cyrano, descendu à la même auberge. Avec la fougue qu'on lui connaît, il terrasse tous les agresseurs et sauve le bébé et sa protectrice. Feront aussi leur apparition dans le roman le marquis de Cinq-Mars et le frère de Louis XIII qui conspirent contre Richelieu. Cyrano, quant à lui, s'escrimera au milieu de tout ça et finira par avoir la part belle.

En un mot, nous voilà devant un "scénario" bien ficelé qui mêle plusieurs grands mythes à la mode à la fin du XIXème, à savoir le personnage du marquis de Cinq-Mars (rendu très romantique par Vigny en 1826, même si ici Lermina le remet à une place beaucoup plus prosaïque et historique) ; le masque de fer (et la fameuse légende du jumeau de Louis XIV) ; et enfin, Cyrano en personne, devenu légendaire alors tout récemment, en 1897, par Rostand.

Une bonne recette ma foi, et surtout un bon liant, et une fougue et une concision dans le style qui m'ont fait passer un très bon moment, pour ce dernier article de l'année 2017.

Deux extraits :

Cyrano en pleine action, lors de son sauvetage du bébé et de sa protectrice :

 

   

 

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Richelieu, pour se débarrasser de l'enfant, utilise (le mot n'est pas trop fort) une demoiselle de l'entourage de la reine, dont le frère est emprisonné et va être bientôt exécuté parce qu'il a comploté contre le cardinal. En échange de sa grâce, Richelieu demande à la demoiselle de se déshonorer, en écrivant une lettre à sa tante qui sera jointe à "l'envoi" du bébé, et qui stipulera que ce dernier est d'elle et qu'elle l'a mis au monde illégitimement. Elle accepte ce terrible sacrifice pour sauver son frère, tout en sachant que cela entraînera pour elle une humiliation fatale et définitive. Or, il se trouve que cette demoiselle est la dulcinée de Cyrano, voilà pourquoi notre héros est en réalité doublement impliqué dans cette affaire. Au début il conspue sa belle, avant de chercher à en apprendre davantage. Le passage suivant, très théâtral, montre le subterfuge qu'il utilise pour que sa dulcinée lui révèle la vérité sans se compromettre ; il sait en outre que quelqu'un dans la pièce est caché (le cardinal en l'occurrence) et écoute leur conversation.  

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