Le retour de la fille prodigue (1947) - Bernard Nabonne.

Publié par Jérôme Nodenot sur 29 Mars 2024, 09:51am

Alors que je cherchais "gascon" dans le moteur de recherche de Gallica, j'ai trouvé Bernard Nabonne, un écrivain qui m'a fait oublier le temps d'un article mon bon vieux XIXe siècle. Car oui, c'est en effet ici d'un recueil de nouvelles de 1947 que je vais parler.

Bernard Nabonne n'est dans le domaine public que depuis peu, il est mort à l'âge de 53 ans en 1951 (la même année que Gide) et cela fait donc trois ans à peine à l'heure où j'écris ces lignes. Il a obtenu le prix Renaudot en 1927 pour l'un de ses romans (Maïténa), il a semble-t-il vécu de sa plume en écrivant des romans et des biographies historiques. Il était un écrivain connu en son temps, déjà passé aux oubliettes aujourd'hui. Il a en revanche une particularité non négligeable, il partageait son temps entre Paris et son village d'origine : Madiran (dans les Hautes-Pyrénées) où lui et sa famille possédaient un vignoble... et c'est à lui que l'on doit les démarches pour faire de ce vin bien connu (le Madiran, donc) un vin AOC ! Il a connu une fin tragique et romantique : il s'est suicidé par le gaz à son domicile parisien aux côtés de son épouse condamnée par la maladie.

Je n'ai lu de Bernard Nabonne que ce recueil de nouvelles, je ne peux pas me prononcer par conséquent sur l'ensemble de son oeuvre mais ici en tout cas nous avons affaire à de bonnes histoires de la campagne d'antan, qui toutes ont pour décor un village du sud-ouest (et ce n'est pas si courant). Des nouvelles assez cyniques généralement mais il faut bien le reconnaître le bonhomme avait un style accrocheur et le lecteur se laisse prendre à son jeu.

Voici quelques exemples, et voici quelques extraits.

Dans "La fête à Saint-Martin", un couple dont les deux enfants ont disparu mystérieusement depuis quelques années font la fête des vendanges avec les autres villageois. Le père en particulier ne semble pas regretter du tout ses enfants (qui lui causaient beaucoup de dettes et accaparaient sa femme un peu trop à son goût). Alors, quand il les retrouve par hasard lors de cette fête et qu'il comprend qu'ils ont été enlevés à l'époque par des gitans... (pages 19-20) :

Le retour de la fille prodigue (1947) - Bernard Nabonne.

Et l'on comprend à la fin qu'il abandonne ses enfants et ne dit rien à personne de ce qu'il a vu.

Dans "La foire à Vidalos", événement majeur dans la vie des maquignons venus là pour vendre leur bétail, Luc Malabirade essaye de vendre à tout prix une vache, la Cournette ; de cette vente dépend sa survie financière. Le problème c'est que sa maigreur fait peur, bien qu'elle soit pleine selon les dires de Malabirade (ce qui augmente bien évidemment sa valeur), personne n'en veut. Jusqu'à ce qu'un autre maquignon, Jules, qui fait les yeux doux depuis longtemps à Sylvie la femme de Malabirade, lui fait une proposition plus qu'osée... et les deux hommes passent un marché (page 30) :

On le voit, Sylvie semble plus que consentante. A la fin, Jules s'enfuit après avoir fait son affaire sans acheter la vache, mais entre temps un autre maquignon l'a achetée en toute honnêteté ; Malabirade, après avoir réfléchi, a préféré assurer le coup et la vendre cash à celui-là, même si au final il aura passé ce marché avec Jules pour rien.

Dans "Pour être aimée", Louise, la fille d'une famille mal vue dans le village, tombe amoureuse d'un fils d'une bonne famille et se fait engager par cette dernière afin d'avoir ce garçon sous les yeux ; mais ce garçon, malgré son désir du début, ne la regarde pas du fait qu'elle ne fasse pas partie de la famille qu'il faut. Peu à peu Louise comprend qu'elle n'a aucune chance et qu'elle n'est pas née sous une bonne étoile, du coup elle décide de jouer la facilité et de se faire entretenir par les hommes. Elle se donne à droite à gauche et a plein de petits amis qui la couvrent de cadeaux. Un soir, alors qu'elle est à l'auberge entourée d'hommes, le fils de bonne famille (celui-là même qui n'avait pas voulu d'elle au début) la revoit et la trouve changée, pleine d'autorité et d'entrain, et surtout très belle. Il veut écarter les autres garçons et Louise va profiter de la situation et finalement se venger de cette bonne famille qui lui avait causé tant de tourments (page 83) :

Dans "Fille d'auberge", la jeune serveuse Louisette se laisse tripoter gentiment par les clients mais sans jamais leur donner sa vertu. Jusqu'à ce qu'exaspéré un jour l'un d'eux se suicide dans le puits, créant un émoi considérable à l'auberge et dans tout le village. Le vieux père du suicidé accuse Louisette d'allumer les hommes sans leur donner ce qu'ils attendent. Et finalement il prend goût à la boisson et fréquente l'auberge tous les soirs, ce qui gêne extrêmement Louisette mais aussi les autres clients qui quittent les lieux dès qu'il arrive. Peu à peu il commence à fixer souvent Louisette et à la traiter de tous les noms. La patronne de l'auberge fait comprendre à sa serveuse qu'elle doit faire quelque chose pour réparer ses torts et Louisette fait une proposition au vieux que l'on trouvera assez indécente (page 173) :

Dans "Le retour de la fille prodigue", enfin, une jeune femme s'enfuit à 16 ans avec un homme marié du village qui est devenu son amant. Plusieurs années passent et le père n'a aucune nouvelle, ou plutôt si, il reçoit des lettres mais ne sachant pas lire et ne voulant pas par fierté se les faire lire par autrui il ne prend pas connaissance de leur contenu. Enfin l'homme qui était parti avec sa fille revient, il retrouve sa femme comme si de rien n'était. On apprendra qu'ayant été malade, puis guéri, il avait attrapé la nostalgie du pays et compris l'importance pour lui de son terroir. Et finalement la fille prodigue revient aussi, et son père lui fera bon accueil, non pas tellement par affection mais pour son propre amour à lui aussi des traditions de son pays (pages 219-220) :