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Le gallicanaute des naines brunes et noires

Le gallicanaute des naines brunes et noires

(Cabinet de curiosités littéraires)


L'homme qui ne peut pas siffler (1885) - Eugène Adenis.

Publié par Jérôme Nodenot sur 16 Janvier 2024, 12:41pm

Catégories : #Naines noires

Eugène Adenis (de son vrai nom Eugène Adenis-Colombeau) fait partie d'une grande famille de librettistes et auteurs dramatiques, très connus à leur époque, très peu "restés" aujourd'hui si on les compare à d'autres comme par exemple Eugène Scribe ou le duo Meilhac et Halévy. Il y avait le père, Jules, auteur notamment du livret de La jolie fille de Perth pour Georges Bizet, et le frère, Edouard, avec qui Eugène a très souvent collaboré. Tous ont aussi écrit pour le théâtre, qu'il s'agisse de pièces jouées, ou simplement lues (à l'époque le théâtre se lisait et il n'était pas forcément joué). 

La plupart des oeuvres d'Eugène est passée aux oubliettes, tout comme celles des autres membres de la famille Adenis-Colombeau. Mais en menant l'enquête il est possible de relever tout de même chez Eugène quelques résidus, tous concernant le grand Maurice Ravel pour qui il a écrit les textes du concours du prix de Rome (il est donc lié à "l'affaire Ravel", sorte de polémique après que le jury du concours ait refusé à plusieurs reprises la victoire à ce génie, suscitant ainsi le doute sur son impartialité).

De leur vivant, Eugène, son père et son frère étaient bien installés dans le milieu, ils ont beaucoup travaillé et connaissaient toutes les sommités, comme par exemple les frères Coquelin, acteurs parmi les plus célèbres de leur époque. C'est d'ailleurs le plus célèbre des deux, Coquelin aîné (appelé ainsi parce qu'il était l'aîné des deux frères, l'autre étant appelé Coquelin cadet) qui a "lu" le conte en vers dont je vais parler ici. Il semble donc approprié de dire que ce texte d'une dizaine de pages a bien connu la scène. 

Il s'agit en effet d'un conte en vers, qui doit se lire comme tel. Un conte dont les résonnances sont très différentes aujourd'hui, car il traite sous le registre comique un sujet qui ne fait plus rire du tout : la violence des maris envers leur femme.

Bidaut est un homme qui siffle incroyablement bien (page 5) :  

L'homme qui ne peut pas siffler (1885) - Eugène Adenis.

Mais quand il a trop bu, ce qui lui arrive chaque soir de son jour de congé (le lundi), il ne peut plus siffler (page 6) :

L'homme qui ne peut pas siffler (1885) - Eugène Adenis.

Or, quand il boit (le lundi), sa femme Adèle ne sait jamais s'il va la battre en rentrant à la maison ou pas, et malheureusement cela arrive souvent. Alors un jour, comprenant qu'il ne peut plus siffler quand il a trop bu, elle trouve un stratagème (page 7) :

L'homme qui ne peut pas siffler (1885) - Eugène Adenis.

Bidaut, qui ne veut pas coucher dehors, promet à Adèle qu'il ne boira plus. Mais le lundi suivant, comme on pouvait s'y attendre, l'appel de la bringue est le plus fort (page 9) :

L'homme qui ne peut pas siffler (1885) - Eugène Adenis.

Bidaut arrive donc soûl devant la porte de sa maison, il demande à rentrer, Adèle lui demande de siffler mais évidemment, "fû, fû", il n'y arrive pas (page 11) : 

L'homme qui ne peut pas siffler (1885) - Eugène Adenis.

Seulement voilà, un bourgeois passe dans les parages et Bidaut va l'utiliser pour rentrer chez lui (page 12) :

L'homme qui ne peut pas siffler (1885) - Eugène Adenis.

Un conte sans doute qui se moque des bourgeois et de leur morale, mais dont la portée est différente aujourd'hui. Suivant l'archétype que représente à ce niveau-là la nouvelle de Borges "Pierre Ménard, auteur du Quichotte", nous voyons encore ici comment un texte peut être reçu différemment selon l'époque à laquelle il est lu.   

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