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Le gallicanaute des naines brunes et noires

Le gallicanaute des naines brunes et noires

(Cabinet de curiosités littéraires)


Cachées par la forêt (2018) - Eric Dussert.

Publié par Jérôme Nodenot sur 11 Décembre 2019, 11:26am

Catégories : #Cabinets de curiosités, #Eric Dussert & co

Marcel Proust, dans "A l'ombre des jeunes filles en fleurs", parle à un moment (comme il le fait souvent dans sa Recherche) de ce passé enfoui au fond de nous, oublié, qui constitue la part la plus importante de notre identité. Mais il en parle comme d'un oubli qui aurait été soigneusement organisé par notre inconscient, de sorte que par des subterfuges ou les hasards de la vie nous puissions malgré tout retrouver ce passé si précieux. Proust compare cet enfouissement méticuleux au dépôt d'un exemplaire d'un livre à la Bibliothèque nationale, livre qui "sans cela risquerait de devenir introuvable" (https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k1049546s/f191.item.r=biblioth%C3%A8que%20nationale).

Ce point de vue proustien (et Marcel Proust, on le sait, a toujours raison) fait donc d'Eric Dussert, notre grand archéologue littéraire, ce qu'il faut bien appeler une sorte de "madeleine" : une madeleine que nous tremperions dans le thé de la littérature française afin de retrouver une partie essentielle de notre passé culturel, que nous aurions oublié mais qui constituerait pourtant un morceau non négligeable de notre identité. Dussert est à lui tout seul l'un des trois pans (et non le moindre, nous dirait donc Proust) de notre histoire littéraire, les deux autres étant la littérature contemporaine d'un côté, et les classiques de l'autre.

"Cachées par la forêt, 138 femmes de lettres oubliées" fait suite à un premier volume : "Une forêt cachée, 156 portraits d'écrivains oubliés". Ayant eu l'impression d'avoir un peu négligé la gente féminine dans son premier opus, Eric Dussert a décidé de consacrer aux femmes de lettres un ouvrage entier, toujours sur le même principe : de courtes biographies, toujours truculentes, non pas en visant une quelconque exhaustivité (ce serait impossible) mais au contraire en choisissant celles et ceux qu'il a envie de réhabiliter (Dussert par conséquent est lui-même présent à chaque page, sa démarche est aussi très personnelle, c'est du moins mon avis, comme l'était celle avant lui par exemple d'un Charles Nodier).

Pourquoi, me direz-vous, exhumer ce passé, sortir ces femmes de lettres de l'oubli, quel peut en être l'intérêt ? Je donnerai pour ma part trois raisons : d'abord, cet ouvrage est pour le lecteur une promenade insolite et divertissante dans le monde de la Bibliothèque, de la littérature ; ensuite, c'est un moyen très immersif de connaître l'histoire littéraire de notre pays, voire même très souvent la grande Histoire ; enfin, à force de voir tous ces fantômes défiler devant nos yeux, toutes ces personnes qui ont réellement existé et qui, grâce à leurs livres ont laissé des traces, mais évanescentes, on en arrive à ressentir la quintessence de la vie, dans toute son absurdité mais aussi dans tout ce qui fait sa magie et sa beauté. Marcel Proust, encore une fois, ne se serait par conséquent vraiment pas trompé. 

Parmi mes femmes de lettres préférées de ce magnifique ouvrage, je pourrais citer Neel Doff (une Hollandaise sortie grâce à l'écriture de la misère noire) ; Marthe Oulié (fortement diplômée, archéologue, mais en fin de compte devenue journaliste et femme de lettres aventurière et exploratrice) ; Myriam Harry (première lauréate du prix Femina, qui écrivait en français, langue qu'elle avait apprise car elle souhaitait vivre à Paris !) ; Madame Dupin (arrière-grand-mère de George Sand, femme très talentueuse qui a écrit notamment les 1200 pages d'un livre intitulé "Sur l'égalité des hommes et des femmes", qu'elle n'a jamais pu publier à cause de son haut rang dans la noblesse) ; Christine Pawlowska (jeune femme bouillonnante et tourmentée, qui a écrit un livre adolescent remarqué, maniaco-dépressive qui finira sans doute par se suicider à l'âge de 40 ans) dont Dussert dit : "On raconte que Christine Pawlowska avait rédigé un roman d'anticipation plein de pestes et de corbeaux, mais il semble avoir disparu. Reste le témoignage du passage sur la terre de cette jeune fille vive, troublante et troublée qui marquera peut-être un moment de l'histoire des moeurs, cette époque où les adolescentes ont commencé à faire avancer le monde". Voilà bien un passage qui résume tout ce qui fait l'importance de "Cachées par la forêt" : la qualité de ces femmes de lettres, leur valeur patrimoniale, la saveur retrouvée de ces petites histoires qui nous plongent dans la Grande, et le style, le style de Dussert qui toujours nous fait revivre ces personnes comme si nous les avions à côté de nous l'espace d'un moment !

A lire... Absolument.  

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