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Le gallicanaute des naines brunes et noires

Le gallicanaute des naines brunes et noires

(Cabinet de curiosités littéraires)


Le sosie : conte japonais (1889) - Joséphine Protche de Viville.

Publié par Jérôme Nodenot sur 21 Décembre 2021, 18:07pm

Catégories : #Naines brunes

En 1888, avec la publication de "Madame Chrysanthème" de Pierre Loti (roman qui rencontra un succès considérable), le japonisme en littérature est à son apogée. Le japonisme, rappelons-le, est un courant artistique, tout autant qu'une mode, en France puis dans les autres pays occidentaux, entre 1850 environ (période où le Japon s'ouvre enfin au monde après deux siècles de repli absolu) et la fin du XIXème ; les estampes, les porcelaines, les décorations japonaises et bien d'autres choses envahirent la France, pour le plaisir des collectionneurs (les frères Goncourt notamment), pour le talent des artistes (impressionnistes par exemple) qui découvrirent de nouvelles techniques, mais avec aussi pas mal de "japoniaiseries" (pour reprendre le mot-valise créé en 1872 par l'écrivain Champfleury).

En 1889, le nouvel éditeur voué à un brillant avenir Charles Delagrave a-t-il voulu surfer sur le tsunami provoqué par Loti un an plus tôt ? Quoiqu'il en soit il publia ce "conte japonais" de Joséphine Protche de Viville, femme de lettres avec laquelle il collabore depuis peu.

Qui était Joséphine Protche de Viville ? Difficile à dire, mais en tout cas elle n'était pas une spécialiste du Japon, ses écrits oscillent plutôt entre Béziers et la Russie ; en tout ce sont 16 livres publiés dont aucun n'a connu de réédition : voilà pourquoi je l'ai classée dans les "naines brunes". Pourtant ce conte se laisse lire, et, si j'en crois les coups d'oeil que j'ai jetés rapidement sur les autres livres de Joséphine, j'ai envie de dire qu'elle vaut le détour, "Jean Courtebarbe, le beau tisserand de Béziers" en particulier m'avait bien tenté. L'illustrateur de l'ouvrage, Victor-Armand Poirson, a lui aussi collaboré plusieurs fois avec Delagrave, et illustré chez Quantin une édition du "Salammbô" de Flaubert, ou encore les "Voyages de Gulliver" de Swift. 

"Le sosie : conte japonais" se déroule à l'époque contemporaine de l'auteur, au moment donc où le Japon s'ouvre au monde. A Nagasaki, le taïcoun (généralissime), trouvant son mikado (empereur) trop archaïque vis-à-vis des progrès que pourraient permettre cette ouverture au monde, veut s'emparer du trône. Pour ce faire il a kidnappé un petit paysan, Otta, qui est le sosie du fils aîné du mikado (futur empereur donc) dans l'intention de se débarrasser de ce dernier et de se servir du petit paysan en quelque sorte comme marionnette. La kisaki (femme du mikado) devine les intentions du taïcoun et demande à son conseiller Minomoto de retrouver le petit paysan et de l'assassiner dans la forêt. Il ne réussit qu'à le blesser et le petit est recueilli et adopté par Tatzu et Koden, un couple de paysans qui ont une fille, Momo-Taro. Otta passera quelque temps en leur compagnie, mais finalement Minomoto le retrouve et la kisaki décide d'envoyer en cachette son fils à l'étranger afin de le protéger tandis qu'Otta sera utilisé à sa place. Lorsque la kisaki comprend que le taïcoun, croyant avoir perdu à tout jamais son arme (Otta) pour s'emparer du trône, renonce à ses intentions, elle fait revenir son fils de l'étranger et demande à Minomoto de tuer Otta. Mais le petit paysan a compris et parvient à s'échapper aidé par des saltimbanques de passage. Otta retrouvera Tatzu et Koden, et plus tard épousera sa "soeur" Momo-Taro. Une histoire un peu tirée par les cheveux mais Joséphine Protche de Viville parvient à donner vie à ses personnages et le lecteur s'y attache. 

Ici, par exemple, une jolie description de la nature "compatissante" au moment où Tatzu recueille Otta chez lui, gravement blessé après la tentative d'assassinat sur sa personne par Minomoto (pages 3-4) : 

Le sosie : conte japonais (1889) - Joséphine Protche de Viville.
Le sosie : conte japonais (1889) - Joséphine Protche de Viville.

Tatzu adopte Otta et cherche à en faire un bon paysan ; voici un petit cours d'agriculture japonaise (page 18) :

Le sosie : conte japonais (1889) - Joséphine Protche de Viville.

Au moment de l'enlèvement d'Otta par Minomoto envoyé par la kisaki, Tatzu est présent mais ne peut rien faire. Il suit les kidnappeurs jusqu'à Nagasaki mais là il perd leur trace ; l'échange entre Otta et le jeune futur empereur qui doit partir à l'étranger en douce s'accomplit, et quand Tatzu croit retrouver son fils d'adoption il s'agit en réalité du fils du mikado (page 30) :

Le sosie : conte japonais (1889) - Joséphine Protche de Viville.

Lorsque Otta parvient à s'échapper du palais impérial, il est recueilli par des saltimbanques. Il attrape la petite vérole, ce qui en fin de compte sera pour lui plus bénéfique qu'autre chose (page 65) :

Le sosie : conte japonais (1889) - Joséphine Protche de Viville.

La fin du conte : tout est bien qui finit bien et le lecteur n'échappe pas à une petite morale (page 71) :

Le sosie : conte japonais (1889) - Joséphine Protche de Viville.

Un livre très représentatif du japonisme, entre réalisme et adaptation pour les jeunes lecteurs français ; assez folklorique mais qui ne tombe jamais dans la "japoniaiserie". 

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