Madame Vampire, histoire de ta femme : avec une photographie (1864) - Jean Bruno.

J'ai déjà parlé à plusieurs reprises de ce que j'appelle "la magie des titres", et ici il faut bien le reconnaître, elle a joué : même si derrière nous n'imaginons pas forcément lire un chef-d'oeuvre, le titre de cet ouvrage attire sans conteste l'attention. Nous sommes carrément même devant une sorte d'arnaque, puisque la "photographie" annoncée par ce titre n'existe pas en réalité, comme cela a été relevé également par les bibliothécaires du catalogue général de la BnF. 

Jean Bruno, de son vrai nom Jean Vaucheret, n'a pas laissé beaucoup de traces. C'était pourtant un auteur populaire, si j'en crois par exemple ce petit article de 1889 : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k1335690r/f2.item.r=(prOx:%20%22jean%22%201%20%22bruno%22).zoom# 

Jean Vaucheret (Bruno), en outre, selon le site de vente aux enchères ci-dessous, gravitait "dans la mouvance républicaine libertaire" : https://www.pba-auctions.com/lot/77454/6354560, et il a écrit plus de 50 livres, dont quatre ou cinq seulement ont connu des rééditions. C'était à mon avis un auteur populaire, mais dans le sens péjoratif d'auteur de romans de gare.

Jean Bruno (était-ce lié à sa personnalité libertaire, ou bien à une mauvaise expérience ?) n'aimait pas le mariage ; "Madame Vampire" à elle toute seule pourrait dissuader plus d'un candidat de franchir cette étape.   

Nicodème Cornambert aime Blanche, une jeune fille pure mais qui n'a pas un sou ; Flammichon, l'oncle de Nicodème, convainc, aidé par Mme Flammichon, ce dernier d'épouser Suzanne Baudrillard, qui est issue d'une famille riche, un peu du niveau des Flammichon. Nicodème se marie et devient incroyablement malheureux et misérable. L'intrigue est très limitée, mais les personnages donnent des couleurs au roman, et bien sûr les hommes sont les dindons de la farce et les femmes de grandes méchantes : Mme Flammichon trompe son mari, Suzanne s'arrange pour faire un contrat de mariage qui soumet totalement le pauvre Nicodème, etc. Seule Blanche semble-t-il échappe à cette peinture misogyne... mais elle disparaît très vite, représentant en quelque sorte la possibilité de l'amour désintéressé et sincère face à tout ce que le mariage peut représenter de mauvais.  

L'incipit du roman s'adresse directement aux candidats :  

On l'a dit, la tante de Nicodème trompe allègrement son mari Flammichon, et elle aussi en fait ce qu'elle veut ; voyant à quel point Nicodème s'est fait berner par Suzanne, elle parviendra même à convaincre son mari de déshériter leur neveu qu'elle juge incapable de gérer quoi que ce soit et qui est trop naïf et trop gentil. L'auteur, dans ce passage, donne une description peu flatteuse de cette femme (page 65) :

Un autre portrait de femme, celui de Suzanne, la fameuse Madame Vampire censée représenter les épouses en général ! (pages 78-79) :

Nicodème représente donc les maris, candides, un peu idiots, qui vont à la mairie un peu à reculons mais qui y vont quand même, et qui ne profitent même pas du jour J dont l'auteur nous fait une description qui ne ressemble pas vraiment au "plus beau jour de sa vie" (pages 109-110) : 

Inutile de vous dire que Nicodème ne profitera même pas de sa nuit de noces, Suzanne préférant s'enfuir et passer la nuit avec son professeur de musique. Et finalement, s'étant fait couillonner du début à la fin avec cette histoire de mariage, il finira pauvre, seul, désespéré... suicidaire (pages 124-125) :

Une petite lueur d'espoir à la fin (pas pour Nicodème hélas, mais pour les candidats au mariage) : j'ai dit que la pure et pauvre Blanche disparaît rapidement du roman, c'est vrai, mais à la fin notre héros suicidaire la croise... au bras de son mari, et tous les deux, dans leur petite situation mais amoureux, semblent connaître le bonheur.

Madame Vampire, histoire de ta femme : avec une photographie / Jean Bruno

Madame Vampire, histoire de ta femme : avec une photographie / Jean Bruno -- 1864 -- livre

https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k63225907.texteImage