Coin du feu pour un soir de 1861 (1861) - Anne (02).

Publié par Jérôme Nodenot sur 12 Mai 2022, 10:30am

Parmi les grandes évolutions permises par la numérisation du patrimoine littéraire, nous ne pouvons que nous féliciter de la possibilité de réhabiliter le nombre incalculable de femmes de lettres tombées profondément dans l'oubli (plus "profondément" que les hommes en tout cas, parce qu'elles ont été confrontées, en plus de l'usure du temps, souvent à une mise à l'écart volontaire, les femmes "lisant" et encore plus "écrivant" étant considérées comme dangereuses). Aujourd'hui, la BnF publie chaque mois un article dans le journal Libération sur une auteure oubliée en permettant de lire ses ouvrages dans Gallica, des associations comme "le deuxième texte" établissent un corpus de textes anciens écrits par des femmes en les mettant à disposition des enseignants pour qu'ils puissent en parler dans les écoles, des comptes féministes sur les réseaux sociaux comme "Autrices invisibilisées" mettent en lumière, extraits à l'appui, les difficultés rencontrées par les femmes à l'époque pour être éditées et reconnues. Et ce ne sont que quelques exemples. Le plus souvent il s'agit quand même de femmes oubliées qui ont existé un minimum en leur temps, ou qui tout du moins ont eu un minimum d'influence. Pour ma part, même si cela n'est pas ma spécialité, il m'arrive bien évidemment de rencontrer au cours de mes explorations de Gallica des auteures, qui parfois, tout comme beaucoup d'hommes d'ailleurs, n'ont pas existé du tout, et ce sont celles-là qui m'intéressent le plus, on s'en doute.

Je suis donc ravi de faire entrer aujourd'hui dans ma petite collection numérique... Anne (02) ! "Anne (02)", on dirait un peu un pseudo sur les réseaux sociaux, en tous les cas il y a là un côté très moderne. Ses poèmes ont été publiés dans des journaux normands avant d'être recueillis en un volume de 28 pages, seul ouvrage jamais publié par Anne, édité par Mme Moreau (ancienne maison Delaunay, l'un des libraires du Palais-Royal), avec une particularité : le nom de l'auteure, Anne, n'apparaît même pas sur la couverture, il a été rajouté à la main après coup ! Le seul moment où "Anne" apparaît à l'impression, c'est à la fin du livre, en guise de signature. Pour être honnête enfin, le "02" n'apparaît que sur la notice de la BnF, je n'en comprends pas trop la signification, aucune mention n'en est faite me semble-t-il sur le document lui-même.

Nous ne connaîtrons jamais rien de la vie de Anne (02), mais réjouissons-nous de pouvoir nous enivrer de ces quelques prolongements de sa pensée, immortalisés à travers l'écriture.

J'ai choisi de donner comme extraits le début de la plupart des poèmes d'Anne plutôt que d'insister sur quelques-uns, j'espère qu'ils inciteront les lecteurs de cette notice à se plonger véritablement dans ce petit livre, parce que les poèmes sont très agréables et d'une certaine qualité à mon goût.

Mais tout d'abord, pour commencer, Anne fait part de ses difficultés sans doute à exister dans un milieu que l'on imagine assez fermé, en particulier aux femmes (page 3) :

Coin du feu pour un soir de 1861 (1861) - Anne (02).

Et puis, les poèmes s'enchaînent, généralement assez longs, les sujets sont creusés. Ici, la première strophe d'une oeuvre intitulée "Le souvenir" (page 4) :