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Le gallicanaute des naines brunes et noires

Le gallicanaute des naines brunes et noires

(Cabinet de curiosités littéraires)


Plus romanesque aventure de ma vie (1854) - Paul Lacroix

Publié par Jérôme Nodenot sur 20 Mars 2014, 12:38pm

Catégories : #Naines noires

Nous savons qu'avant Baudelaire, certains traducteurs comme Isabelle Meunier ou Gustave Brunet s'étaient déjà occupés de faire connaître l'œuvre d'Edgar Poe au public français ; de manière assez confidentielle toutefois j'imagine. Est-ce pour cette raison que peut-être, en 1854, Paul Lacroix (plus connu sous le pseudonyme du "Bibliophile Jacob") l'avait déjà lue ? Même si nous voyons bien que dans le livre dont il est question ici il ne cherche pas du tout à imiter Poe, il n'en reste pas moins qu'il existe des résonances avec les contes du grand auteur américain. Une certaine ambiance psychologique, une intrigue à caractère policier évident (même s'il ne s'agit pas ici, à proprement parler, d'un roman de détection) ; s'y retrouve également cette atmosphère à la Docteur Jeckyll et Mr Hyde (autre avatar de Poe, d'ailleurs, comme l'a très bien souligné Borges).

"Plus romanesque aventure de ma vie" n'est pas le texte le plus connu du Bibliophile Jacob (et est un peu à part dans sa bibliographie), écrivain qui en son temps était apparemment quand même très fameux, alternant œuvres historiques et littérature populaire, voire mélangeant les deux comme un autre grand bibliophile, Umberto Eco ; très prolifique, polygraphe de profession et érudit notoire. Aujourd'hui il ne semble être resté que pour son amour des livres, et pour ce qu'il a apporté à cette passion dévorante qu'est la bibliophilie.

Le titre du livre suggère l'idée que son sujet serait le témoignage d'un homme, en tous les cas un sujet véridique ; idée renforcée par le fait que la fusion personnage-auteur-narrateur est ici parfaite (le héros s'appelle Bibliophile Jacob et s'exprime à la première personne). On ne peut pas parler par contre de ce que l'on appelle aujourd'hui le genre "autofictionnel", à mon avis du moins (il y manquerait d'office la dimension psychanalytique). Il s'agit simplement d'un subterfuge de l'auteur pour faire "vrai".

Résumé de l'intrigue en quelques mots : Un soir, plus tard que prévu, le Bibliophile Jacob rend visite à un ami avec lequel il doit débattre de l'origine des cartes à jouer. Ils discutent et voient soudain, chez le voisin, des lumières qui s'agitent dans le feuillage du jardin. Ils n'y prêtent guère attention, même si cela leur semble étrange. Jacob remercie son hôte et rejoins son fiacre qui l'attendait, celui-là même qui l'avait amené, conduit par un homme bavard et assez inintéressant. Ce dernier s'est endormi. Jacob le réveille et au même moment, toujours depuis chez le voisin, un coup de feu retentit. Du bruit se fait entendre dans une haie, quelqu'un escalade le mur et voilà qu'un homme apparaît, qui tente de monter à son tour dans le fiacre déjà occupé par Jacob qui proteste, ainsi que le conducteur. L'homme semble terrorisé, il porte un grand sac, mais surtout, sur son visage se lit une certaine innocence, et Jacob finalement lui cède la place en disant au conducteur de revenir le chercher après la course qu'il fera pour l'homme en question. Le fiacre s'éloigne, non sans que le client n'est promis au conducteur une belle somme d'argent. Jacob reste seul, et très vite, les occupants de la maison voisine lui tombent dessus, croyant avoir affaire à leur voleur. A force d'explications, le narrateur parviendra à se disculper, surtout lorsque les deux parties comprendront qu'ils ont un lien : Jacob et le maître de maison (le père du baron avec qui s'entretient notre héros) se connaissent, ils étaient amis lorsque tous deux vivaient en Italie (Paul Lacroix, en effet, a parcouru ce pays pour y dénicher des livres historiques rares). Cette re-connaissance, une fois le narrateur reparti chez lui, sera à l'origine chez ce dernier d'un sentiment de culpabilité légitime : et s'il s'était rendu complice d'un criminel ayant nui à l'un de ses amis ? Le soir-même, en tout cas, honteux sans doute, il n'a rien avoué de son erreur au baron. Le lendemain, Jacob, en rendant visite aux victimes, finira par être glacé d'effroi ; car le criminel, la veille, n'avait pas dérobé de l'argent, mais kidnappé, dans son grand sac, le petit fils de son ami ! Le reste du roman racontera la résolution d'une énigme par un homme seul, rongé par le remords, qui, sous fond d'un prétendu complot politique et de tensions familiales, parviendra à éclaircir les lanternes de chacun et à remettre de l'ordre : on n'est pas très loin non plus de ce que l'on appellerait aujourd'hui un thriller, quand on y réfléchit à deux fois, même si l'intrigue est assez circonscrite et ne connaît pas de bifurcations pour compliquer les choses.

J'ose donc le dire : voilà un roman entre polar et thriller, dont l'atmosphère et le type d'intrigue rappellerait en revanche les bons vieux textes policiers des romans de détection.

Avec en prime quelques remarques sympathiques sur le "statut social" et la psychologie du bibliophile selon Jacob. Par exemple, à la toute fin du livre, il dit à son ami bibliophile (le voisin des victimes) :

"— Bonsoir, mon ami! lui criai-je, encore ému de la scène que j'avais vue : nous sommes

privés de bien douces jouissances, nous autres bibliophiles, qui n'avons ni femmes ni enfants.

— Pourquoi? répliqua-t-il, étonné et ne comprenant pas. Ce que vous dites là n'a pas rapport à l'origine des cartes à jouer." Il me paraît que de nos jours les bibliophiles (numériques ou non) sont moins absorbés et plus ancrés socialement, non ?

Je donne les liens ci-dessous, en plus de la référence sur Gallica bien sûr, de l'article de Wikipédia sur Paul Lacroix et d'un billet sur le blog "Le bibliomane moderne" le concernant.

 

Article sous CC-0 CC0
To the extent possible under law, Jérôme Nodenot has waived all copyright and related or neighboring rights to Le gallicanaute des naines. This work is published from: France.

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