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Le gallicanaute des naines brunes et noires

Le gallicanaute des naines brunes et noires

(Cabinet de curiosités littéraires)


La femme jaune (1886) - Camille Delaville.

Publié par Jérôme Nodenot sur 19 Septembre 2017, 10:26am

Catégories : #Naines noires

Journaliste et auteure féministe aujourd'hui oubliée, Camille Delaville connut dans les années 1870-1880 un prestige certain dans les milieux littéraires parisiens. Son roman "La loi qui tue", publié en 1875 et largement autobiographique, raconte toutes les difficultés qu'elle a rencontrées après avoir fui son mari violent, avec lequel elle avait eu deux enfants. Je n'ai pas lu ce livre, mais il est également disponible sur Gallica. Je lui ai préféré pour ma part ce roman, "La femme jaune", histoire haute en couleur de la vengeance d'une Javanaise envers un lieutenant de vaisseau français ; une vengeance qui se mangera froide et qui sera terrible. Je vous en reparle plus loin.

Camille Delaville n'a pas connu sa mère, morte lorsqu'elle n'avait que deux ans. Elle a été élevée par son père qui lui a donné une bonne éducation et lui a laissé une fortune conséquente, qui lui permit de pouvoir vivre en grande bourgeoise (elle donnait des fêtes dont on parlait paraît-il même dans les journaux, et tenait salon le vendredi). Elle a prétendu toute sa vie vivre de sa plume, sans doute plus pour justifier cette activité "d'homme" que pour se vanter, même si ses quelques romans, et surtout ses articles, avaient connu une certaine popularité. Elle a fait un mariage d'amour à 18 ans, mais qui a mal tourné quelques années plus tard, son mari étant violent. Enceinte de sa deuxième fille elle s'est enfuie, ce qui l'a rendit "convaincue d'adultère". Elle s'est battue jusqu'en 1885, date à laquelle elle et son mari ont pu bénéficier de la toute nouvelle loi instituant le divorce, votée un an auparavant.

Camille Delaville aura toujours vécue ce paradoxe d'être à la fois une grande bourgeoise mais à la réputation sulfureuse (due notamment à de nombreuses liaisons amoureuses) ; parmi ses articles les plus célèbres à l'époque figurent ses portraits de contemporaines au parcours atypique comme elle. Elle fut aussi une féministe controversée, en ce sens où l'on peut se demander, comme Nelly Sanchez ici : https://genrehistoire.revues.org/1078 (billet très complet qui aura été ma principale source pour rédiger ma mini-biographie), si elle l'était vraiment par militantisme, ou bien s'il s'agissait plus pour elle de justifier son mode de vie et de se faire accepter malgré tout dans la haute société.

Revenons-en maintenant à notre roman. "La femme jaune", c'est l'histoire de deux demi-frères (mère en commun), Alexandre de Kerjac (lieutenant de vaisseau qui a voyagé autour du monde, beau, loyal, efficace, mais très dépensier) et Prosper Lyon (fonctionnaire un peu dandy, fêtard, mais gentil et attentionné). Alexandre, pour se refaire une situation financière, doit épouser Louise ; il s'agit d'un mariage arrangé : Alexandre est beau, Louise est riche, les familles s'entendent bien, bref tout le monde y trouve son compte... sauf Alexandre, qui vit une passion dévorante à l'autre bout du monde avec une belle Javanaise, Natha, une fille de prostituée, devenue mendiante après la mort de sa mère, toujours accompagnée de Dzym, son énorme boa protecteur ; Alexandre l'a receuillie, et l'entretient. La passion est réciproque, Natha est follement amoureuse d'Alexandre et ne lui fait aucune infidélité même pendant ses longues absences, malgré son incroyable beauté et tous les types qui lui tournent autour, notamment Francis Marassol (un autre Français, d'origine marseillaise mais qui vit depuis très longtemps sur l'île de Java). Seul Prosper, dans la famille d'Alexandre, est au courant de cette liaison. Concrètement, selon l'entente familiale, Alexandre, qui doit repartir à Java une dernière fois, va donner sa démission, quitter la marine et rentrer vivre définitivement en France avec Louise. Durant ce dernier séjour, Alexandre, qui a tendance à oublier dans les bras de Natha ses obligations envers sa famille, et qui fait aussi, il faut bien l'avouer, preuve de lâcheté envers Natha (il ne lui parle pas de la voie sans issue de leur union, qui va s'achever bientôt), semble espérer secrètement pouvoir rester là, ou ramener Natha en France. Finalement, il reçoit une lettre de son frère Prosper qui lui rappelle ses engagements et lui met la pression. Natha saura l'horrible vérité par Francis Marassol (trop content de l'opportunité) : Alexandre va devoir l'abandonner à tout jamais. Elle fera semblant d'accepter son sort, et, après avoir contracté une curieuse maladie de l'estomac Alexandre repart définitivement en France, la mort dans l'âme. A noter que Prosper, de son côté, est tombé secrètement amoureux de Louise, même si son sens du devoir et de la loyauté envers son frère lui permettront d'avaler toutes les couleuvres du monde et de se sacrifier dans un premier temps. Une fois Alexandre parti, Natha se donne à Marassol... mais pour quitter Java et s'installer à Paris, dans un petit appartement ; elle changera de visage, deviendra Berthe, cachera Dzym dans une petite pièce (il aura d'ailleurs beaucoup de mal à se faire au climat parisien, le pauvre), et mettra au point sa vengeance, qui fera de nombreux dégâts, y compris pour elle. Le roman, toutefois, d'un certain point de vue du moins, finira plutôt bien...

Extraits :

Situation de départ vue à travers Louise, future épouse d'Alexandre :

 

Page 11

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Description pittoresque et réjouissante du cadre dans lequel vit Natha, la belle Javanaise : 

Page 44

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Chanson psalmodiée par Natha, à laquelle on ne fait pas attention quand on ne connaît pas encore la suite du roman, mais qui va s'avérer terriblement prémonitoire, du moins dans l'idée :

Page 48

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Alexandre, alors qu'il doit repartir en France pour épouser Louise et laisser Natha à tout jamais, contracte une curieuse maladie : 

Page 78

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Les soupçons de Prosper :

Page 356

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Suprême vengeance : Natha se révèle à Alexandre juste avant qu'il ne meure :

Page 375

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Un passage assez gore pour terminer :

La femme jaune (1886) - Camille Delaville.
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