Le royaume des gourmands (1866) - P.-J. Stahl (vignettes par Lorentz Froelich).

Publié par Jérôme Nodenot sur 28 Novembre 2018, 10:59am

P.-J. Stahl était un auteur prolifique, spécialisé surtout dans la littérature jeunesse, mais qui n'a jamais vraiment connu un large public, ni une grande reconnaissance critique. Pourtant il est très célèbre : il s'agit en réalité de Pierre-Jules Hetzel, le fameux éditeur de Jules Verne. Il semblerait que Hetzel, qui souvent publiait ses livres dans sa propre maison d'édition, préférait se cacher derrière un pseudonyme, et l'on comprend pourquoi, quand on sait ce que la notoriété peut engendrer de bon ou de nuisible. A sa mort, par exemple, un article est paru dans "Le Figaro" dans lequel le journaliste regrette que Hetzel n'ait pas connu plus de reconnaissance comme écrivain, parce qu'il était selon lui de la trempe d'un Stendhal (rien que ça !) : http://www.lefigaro.fr/histoire/archives/2016/03/16/26010-20160316ARTFIG00332-17-mars-1886-hetzel-celebre-editeur-et-ecrivain-meconnu-disparaissait.php. On est bien d'accord qu'entre ceux qui encensent la personne parce qu'ils l'adorent ou parce qu'ils y trouvent un intérêt, et ceux qui la descendent parce qu'ils ne l'apprécient pas ou parce qu'ils en sont jaloux, difficile pour la presse d'être objective avec quelqu'un de connu.

Dans l'ouvrage dont il est question ici, Hetzel met carrément l'auteur des vignettes en avant, lui n'apparaît qu'à peine sur la couverture comme auteur du texte, si ce n'est pas malheureux.

Quant à nous, avec plus de cent ans de recul, loin de toute actualité, nous pouvons enfin apprécier P.-J. Stahl à sa juste valeur, tranquillement, et sans être ennuyé par personne. Je n'en dirais pas plus sur sa biographie, on connait assez ce riche éditeur qui avait un flair extraordinaire, fervent républicain, défenseur de Baudelaire, etc. Vous trouverez également sur Wikipedia sa bibliographie : https://fr.wikipedia.org/wiki/Pierre-Jules_Hetzel

Et il faut bien le dire, notre ami est très sympathique aussi comme écrivain ; sous sa plume ce "Royaume des gourmands" prend vie avec un entrain fort agréable, l'histoire, même si l'on devine assez vite ce que sera sa fin et ce qui en sera la "morale", est intéressante et joliment illustrée par Lorentz Froelich.

Les deux premières pages à elles seules résument toute l'intrigue :

Pages 1r et 2r

La mère Michel (qui je vous le dis d'emblée perdra son chat à la fin du livre, même si cela n'a rien à voir avec l'intrigue principale), pour réaliser cette tarte mettra tout le royaume (constitué, on l'aura compris, essentiellement d'enfants) à contribution : les pâtissiers et leurs assistants, les fermières pour les oeufs (il en faut 700000), les baratteurs pour le beurre, les meuniers pour la farine, etc. Les poules et les coqs ne sont pas à la fête :

Page 4r (oeufs)

Les vaches laitières et leurs veaux essayent même de se révolter :

Page 5r

Et au final, les choses se passent plutôt bien, tous les habitants sont ravis de travailler dur sur un projet aussi appétissant ; en outre, la mère Michel est douée pour le management, exigeante mais juste :

Page 17r

Il m'a semblé avoir deviné assez vite quel était l'objectif du roi : obliger ses sujets à s'empiffrer de ce gâteau pendant des semaines, sans rien manger d'autre, pour tenter de les dégoûter et de les guérir de cette néfaste gourmandise. Au début, les habitants se régalent avec la tarte, mais après quelques jours cela devient un calvaire d'en manger, comme une punition terrible :